William John Clyndestria ◈ Ben Barnes

1 Janvier 1989

Et dire que mes parents avaient prévu de fêter le nouvel an à Paris, dans le superbe appartement de tante Suzy, à deux pas des Champs-Elysées. Au lieu de savourer des toasts au caviar, ma mère avait passé la nuit à pousser comme une enragée pour me mettre au monde, broyant au passage la main de mon père qui, selon les dires de ma mère, hurlait à la sage-femme quelque chose comme « mais il ne devait arriver que dans un mois ! ». Tant pis pour le caviar.

Ce rendez-vous manqué explique peut-être pourquoi la très (trop, voire ridiculement) distinguée tante Suzy s’est toujours montrée dédaigneuse envers moi. Peut-on en vouloir à un enfant parce qu’il a eu le malheur de naître au même moment qu’une somptueuse réception ? Si l’on en croit le comportement bien différent qu’elle adopte avec ma petite sœur, qui elle a eu le bon goût de ne pas perturber ses plans au moment de sa naissance, la réponse est oui.

Même si je me sentais obligé de vous faire part de cette drôle d’anecdote, mes parents n’ont finalement pas regrettés d’être restés à Londres ce soir-là. Mon père, qui n’avait pas la magnanimité pour vertu, avait quand même fait un scandale auprès du directeur de l’hôpital, soulignant que les médecins « n’étaient même pas fichus de prévoir l’arrivée d’un bébé ». Quand on sait que quatre ans plus tard ma sœur est arrivée dans ce même hôpital en étant censée être un garçon durant neuf mois… Je vous laisse imaginer…

Mon enfance ? Pourrie gâtée, très entourée de gens à mon service, beaucoup de prévenance de la part de tout le monde, des sourires, des petits surnoms ridicules tels que Willy, Willou, Wiwi… et j’en passe. Petit garçon je pensais que tout cela était normal et surtout réel. J’ai toujours eu conscience que je n’étais pas n’importe quel enfant, mais ce que j’ignorais à l’époque c’est que je ne devais mon importance qu’à la fortune de ma famille. Un petit héritier tel que moi ne pouvait jamais être agaçant, sale, mal poli ou pas assez mignon. Finalement, moi et ma sœur avons toujours fait face à l’hypocrisie et à l’avarice de ce monde. Nous avions tout, même ce que nous ne voulions pas.

Tout, sauf une vie authentique.

Un vase en porcelaine qui valse contre le mur, un coup de pied dans une porte, une mâchoire serrée, mon adolescence n’était franchement pas celle d’un fils de bonne famille. Je ne me souviens même plus du moment où j’ai basculé. J’ai commencé à me questionner sur beaucoup de chose, sur ce que j’étais, ce que j’allais devenir, sur ma place dans cette famille où l’on me traitait comme un parfait cheval de course. A l’inverse de certains de mes camarades issus d’un milieu moins aisé que miens, j’avais l’impression de ne pas tout à fait m’appartenir. Je n’étais qu’un nom, qu’un pedigree, qu’un hériter à bien dresser pour suivre une voie toute tracée. C’est en m’ouvrant aux autres et notamment à ceux qui ne me ressemblaient pas que je me suis rebellé. Peut-être parce que j’étais vraiment mal dans ma peau, peut-être parce que je voulais goûter à une vie sans bienséance ni paraître ?

Quoi qu’il en soit j’ai dépassé les bornes. Je fumais, je découchais, je buvais, j’allais voir des filles qui s’offraient sans retenue, je boudais l’école, et tout ça alors que je n’étais même pas majeur. Dépassés par les événements, mes parents décidèrent de prendre des mesures radicales. Puisque j’avais fait de Londres mon terrain de jeu, ils m’envoyèrent terminer mes études de commerce à Paris. Chez qui ? Chez tante Suzy. Autant vous dire qu’ils ont eu bien du mal à me retenir dans mes tentatives de fugue.

Je m’étais juré de faire vivre un enfer à cette vieille tante acariâtre, qui était en fait ma grande tante, et qui ne s’était pas adoucie avec les années. Je pensais que mes nombreuses frasques me vaudraient un renvoi immédiat et définitif à Londres mais je me trompais lourdement : c’est elle me faisait vivre un enfer. Elle m’épiait sans cesse, me faisait suivre partout où j’allais, me piquait de l’argent pour limiter mes sorties et se montrait désagréable en toute occasion.

Forcé d’étudier pour ne pas avoir à supporter les turpitudes de cette vieille folle, mes réussites scolaires et les années passants vinrent finalement à bout de notre mauvaise cohabitation et tante Suzy desserra la vis. Adulé par ma mère, soutenu par mon père, j’étais devenu un brillant et beau jeune homme riche à l’avenir prometteur. Moi qui avais presque renié ce que j’étais à seize ans, je comprenais maintenant la chance inouïe que j’avais d’appartenir à ce monde. Comprenant désormais tout ce que ma position pouvait m’apporter, j’étais bien décidé à m’en servir utilement.

Collaborateur et futur repreneur des entreprises immobilières de mon père, je pouvais maintenant faire ce que je voulais sans avoir à subir les foudres de ma famille. Présents dans les soirées branchées londoniennes et parisiennes, je m’étais fait un nom dans le petit milieu des jeunes de la haute et je n’en étais pas peu fier. Pris dans un tourbillon, je jonglais entres beuveries aux grands crus, consommation de filles faciles et week-ends tranquilles dans la campagne à ne rien glander.

Définitivement réinstallé à Londres pour le travail, j’étais bien décidé à prouver que je n’étais pas un Clyndestria pour rien.

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