St Bartholomew's Hospital, secteur psychiatrie. Mercredi 11 Janvier, 16h23.
« - Miguel ! »Tu n'as pas besoin de tourner la tête pour savoir à qui cette voix appartient. Tu avais pourtant essayé de l'oublier à une époque mais, celle-ci t'avait hantée encore et encore jusqu'à ce que tu cèdes. Elle est gravée en toi au fer rouge, et même aveugle tu serais la reconnaître. Deux secondes plus tard, deux bras fins t'enlacent la taille, tu te retrouves serrer amoureusement contre le corps d'une femme. Tu ne cherches pas à te débattre, te tournant doucement pour rendre l'étreinte à la quadragénaire face à toi. Elle claque un baiser sonore sur tes lèvres alors qu'un sourire vient s'étirer sur celle-ci.
« - Mio Amore » Tu lui susurres tout bas, comme si c'était un secret entre vous deux. D'un point de vue extérieur ça ressemblait à une scène banale entre deux personnes qui s'aiment. Des retrouvailles tendres d'un couple. Hors, pour les personnes connaissant les deux personnes en question, c'est une autre histoire. Bien qu'ils soient habitués à ce genre de scène, il est parfois déroutant de voir ça entre une mère et son fils. Mais tu n'es pas le genre à t'occuper de l'avis des autres, enfin en apparence, tu t'éloignes des regards demandant à ta génitrice de te suivre. Elle semble joyeuse, elle te reparle de votre prétendu mariage un beau jour d'été et tu acquises silencieux. Mélancolique parfois, tu médites sur la situation, tu aimerais qu'elle voie en toi le fils qu'elle a eu et non l'homme qu'elle a aimé jadis. Tu détailles son visage radieux, passant une main dans ses cheveux de jais, après tout tu lui dois bien ça,elle est ton commencement.
Tu sais mon petit gars, parfois j'me dis que j'envie ta vie. Jusqu'au moment où je me rappelle qu'au final j'ai toujours étais là. J'l'ai vécu d'une manière particulière, tapi dans l'ombre de ton inconscient.
1988. C'est ton année de naissance, tu ne sais pas grand chose sur ce qu'il s'est passé entre ta mère et ce "Miguel". Tout ce que tu en as conclu c'est qu'il était sûrement ton père. La version officielle dit que quelques mois après ta naissance tu as étais retirés par les services sociaux pour mauvais traitement. En réalité c'est juste parce que ta mère, n'avait pas de quoi t'élever correctement. Il y a eu une époque où tu lui en as voulut puis tu as compris avec le temps que même si ses batailles pour te récupérer ont échoué, jamais elle ne t'a abandonné. Elle aurait pu déplacer des montagnes pour toi alors prétendre que tu es cet homme n'est pas si mal que ça non ? C'est foutrement malsain quand même, mais j'te juge pas promis !
D'aussi loin que tu te souviennes, tu as toujours eu la même famille d'accueil. On dit que tu es un petit chanceux et sur ce point-là, je suis d'accord. Ils ont jamais étais méchant avec toi, ils t'ont toujours bien traité et on essayé de t'élever comme si tu étais leur fils. Entouré par tes sœurs adoptives, tu as eu une enfance normale. Avec des problèmes et des souvenirs heureux de gosse. C'est foutrement inintéressant bordel. Excuse-moi depuis toute à l'heure je me retiens mais là.. Passons.
Ce fut la même histoire pour le collège et la première année de lycée, pour une raison quelconque, on t'a rarement cherché des noises. Peut-être parce que de ton mètre quatre-vingts dix tu devais en impressionner plus d'un. Alors que comme je l'ai dit plus haut tu n'es pas fichu de foutre une droite correctement. J'suis sûr que si à l'époque ça s'aurait su, tu aurais pris plus d'une dérouillée. M'enfin, ça m'aurait bien cassé les couilles aussi. Ou peut-être parce que tu étais inexistant aussi. Toujours le nez dans tes bouquins, à faire de ton mieux à étudier pour impression la famille qui s'occuper de toi. Ouais j'pense que c'est ça, tu as jamais vraiment existé Andréas. Tu n'es que l'ombre de toi-même.
Puis la deuxième année de lycée est arrivée, tu as commencé à traîner avec des gens de ton club d'athlétisme que tu fréquentés depuis un moment. Selon les rumeurs, c'est à la puberté qui t'a embelli, faisant partir ses vilains boutons d'acné et pousser enfin des poils qui te rendaient un peu plus viril. Eh ouais mon gars, on s'est intéressé à toi parce que tu avais une belle gueule. Des filles ont voulu te relooker et tu les as suivis dans leurs délires te disant que de toutes manière, tu n'avais rien à perdre. Et c'était vrai. Le vilain petit canard et devenu un beau cygne. J'en ai presque la larme à l'œil babe. Ta vie à changé du tout au tout à partir de ce moment-là. Tu as eu ta première petite, Sabrina.. Catherine.. Ambre ?... 'Fin bref, le canon du lycée, les soirées alcoolisées dont tu ignorais l'existence tu les as goûtés un par un. Encore et encore jusqu'à ce que tu en as marre. D'ailleurs c'est à cause d'un jeu à la con que tu as découvert ton attirance pour les hommes. 7 minutes au paradis. 7 putains de minutes à se bécoter, se caresser et mouvoir avec ce qui était ton pire ennemi de l'époque. On aurait dit une fanfiction sur deux mecs qui se détestent mais qu'au final ne rêve que d'appartenir l'un à l'autre à la fin. J'trouvais ça bandant à l'époque mais, vous avez tout niqué. En réalité ça ne s'est pas vraiment passé comme tel. Pas d'ils vécurent heureux et adoptèrent plein de petits enfants. C'est restés à sept minutes au paradis, dans votre placard secret. Saupoudré par un magnifique coup de poing qui avait suffi pour fendre ta lèvre du bas. Parce qu'après tout "j'suis pas pédé" qu'il te disait alors que c'était le premier à avoir la main dans ton caleçon. Officiellement on raconte que vous vous êtes battus, ça s'est terminé là. Te laissant blessé, avec une gaule monumentale et ton esprit en vrac.
Deux années ont suffi pour te faire évoluer, pour que tu grandisses et mûrissent. Pour que tu découvres une façon de vivre dont tu avais pris goût. Le retour à la réalité fut brutal, devoir retourner étudier pour ton diplôme scientifique afin de pouvoir commencer ton cursus psychologique. On te demande souvent pourquoi tu as choisi cette voie, pourquoi se consacrer aux autres alors que tu aurais bien pu continuer ta carrière de sportif. C'est les origines de ta naissance qui t'on pousser vers cette voie. Et aussi parce que dans ce domaine ça ramène pas mal de fric avouons-le. C'est lors de tes années de lycée que ta famille d'accueil t'a avoué qu'ils avaient des nouvelles de ta véritable mère, qu'elle avait essayé par tous les moyens de te revoir, de te récupérer. Mais ils avaient peur tu sais, ils t'aimaient comme un membre de leurs familles et devoir s'imaginer que tu partirais leur fendaient le cœur. Ils ont préféraient dire que tu ne voulais pas la voir, que tu la haïssais. Les connards ! Pardon. Suite à ça, tu as accepté de la voir, votre première rencontre t'a marqués à vie.
L'attente était terriblement longue, tu étais seul préférant que ceux qui t'avaient recueilli restes à l'extérieur. L'angoisse te bouffait les tripes, tu transpirais à grosses goûtes ne sachant pas vraiment comment réagir. La porte s'est ouverte et elle était face à toi, accompagné ta grand-mère maternelle. Tu n'osais plus bouger, yeux dans les yeux les secondes étaient affreusement longues. Un sourire éclatant naquit sur ses lèvres alors que les premières larmes commençaient à couler sur tes joues. Pour la première fois de ta vie, tu étais submergé par les émotions, c'était bouleversant et terriblement effrayant.
« - Miguel » Ça a eut le même effet qu'une gifle en plein visage, deux secondes plus tard elle te serrait dans ses bras, sanglotant et te parlant en italien. Douche froide. Tu pouvais entendre ton cœur se briser un peu plus chaque fois alors qu'elle te disait à quel point elle t'aimait et qu'elle était heureuse de te revoir. Tu la serrais si fort dans tes bras malgré tout, peu importe qui tu semblais être à ses yeux. Plus tard tu as appris que ta mère souffrait d'un trouble mental appelé la psychose maniaco-dépressive. Mais elle n'avait jamais voulu se faire soigner, prétextant qu'elle allait bien. Ça fut la raison qui t'a amené à étudier la psychologie, tu voulais aider ta mère et les personnes dans la même situation. Peut-être qu'au fond tu voulais surtout t'aider toi-même non ?
Puis cinq nouvelles années sont passées tout aussi vite, laissant les rides inquisitrices s'aventurer sur ton visage. Tes années universitaires étaient définitivement les meilleures, elles étaient comme celles du lycée mais en mieux. Plus de liberté, grâce à l'appart que tu occupais seul, plus de sorties, plus d'amis, plus d'amour, plus de tout. Ce fut une vraie libération pour toi. Grâce à un programme d'échange tu avais pu finir ton master en Angleterre. La porte de la cage avait une brèche et tu t'es empressé de la prendre en souhaitant ne plus jamais la laisser se refermer. C'est cinq ans t'ont permis d'accepter ta bisexualité, goûtant l'amour dans les bras des deux sexes. Bien que finalement aucune ne t'a vraiment marqué.T'sais parfois j'me demande si tu as vraiment étais amoureux dans ta vie ? Tu te détaches tellement facilement des autres, de peur qu'ils te blessent ou bien parce que tu n'étais pas prêt à faire ton coming-out devant ta famille, tu as laissés derrière toi les gens qu'ils t'aimaient. Mon grand, il parait que si on n'accepte pas l'amour que nous portent les gens, considérant que tu n'es pas digne de celui-ci, tu ne t'aimes pas toi-même. Tu ne t'aimes pas Andréas ? J'suis le seul à t'aimer vraiment de toute manière.
Ça faisait un an pratiquement que tu travaillais en tant que psychothérapeute à l'hôpital londonien lorsque tu as eu des nouvelles de ta génitrice. Elle avait sombré mentalement, dévoré par sa propre folie. Ça expliquait ce long silence radio que tu avais eu pendant plusieurs mois. Après plusieurs délires, ta grand-mère avait décidé d'interner ta mère en espérant que les spécialistes trouvent un remède à tout ça. Mais elle a était fauchée par la faucheuse avant de pouvoir voir une quelconque amélioration. C'est là que tu as commencé à jouer réellement ton rôle. Tu étais le dernier membre de sa famille qui restait, les autres préférant la laisser à elle-même. Ne pouvant pas s'occuper d'elle, selon le code de la psychiatrie, "gneu gneu gneu on ne s'occupes pas des gens de sa propre famille c'est malsain, ça peut créer des conflits gneu gneu gneu". Tu t'es servi de quelques relations pour faire en sorte qu'elle intègre l'hôpital où tu bosses, tu subviens à ses besoins tout en jouant "Miguel". Un jour sûrement tu péteras un câble en lui hurlant que tu es son fils, mais pas maintenant, pas tout de suite.
A présent ta petite vie qui semble parfaite d'apparence continue son déroulement, ça doit bien faire quelques années maintenant que t'écris. Danae Cotins. Le nom le plus pété de l'univers. C'est ton nom d'auteur depuis que tes bouquins ont étais édités et que tu jouis d'une popularité que même toi ne comprends pas. Mais t'es trop timide, trop lâche pour pouvoir assumer tout ça. Et si tes lecteurs découvraient la personne que tu étais vraiment ? C'est ça qui te fait peur hein, qu'ils ne t'aiment plus. Qu'ils prennent peur. Tu fuis les conventions, les interviews, les dédicaces. On dit que tu es un écrivain mégalo et hautain, tu aurais dû t'assumer mon gars c'est con.
Pas de relation, pas d'enfant. Juste un chien qui t'accueille lorsque tu rentres tard le soir, Croquette. T'es aussi doué pour trouver des noms aux animaux que pour garder quelqu'un toi. Après ce qu'ils t'ont fait tu as quand même gardé contacte avec ta famille d'accueil, après tout ils t'ont quand même élevé. Ta vie te plaît en somme, tu as décidé de vivre sur le sol anglais et tu sembles plutôt bon dans ce que tu fais donc pourquoi partir ?
Et si un jour, Andréas, tu te faisais dévorer aussi par ta propre folie ? Te plongeant corps et âme dans des ténèbres que seul toi et tes écrits connaissent. Ce jour-là je serais encore là tu sais, j't'attendais les bras ouverts.
Pose ta tête-là, j'suis là.
Comme d'hab, pour toujours.
..Inspire, expire..