Frederic Richardson ◈ Alberto Rosende

" Vous savez... Freddy n'a pas toujours été ainsi. Quand il était petit, il était plein d'entrain, la vie dansait dans ses yeux, c'était toujours le premier à faire des bêtises, à courir dans les flaques d'eau pieds nus, à cracher le plus loin possible en haut d'un pont en riant. Il était si merveilleux comme petit garçon. Tellement rieur, tellement attachant. Mais ... peu après cela... une tragédie est arrivée. A l'âge de six ans son frère... mon fils... s'est fait enlever ... sous mon cruel manque de surveillance. Je ne me cherche pas d'excuse, j'étais vraiment une mauvaise mère. Préférant téléphoner pour une stupide affaire au travail que de m'occuper de mes propres enfants. Je m'en voudrais toujours pour cela. Ils étaient tous les deux entrain de jouer dans un parc du quartier quand s'est arrivé. Freddy tout comme moi nous souviendrons à jamais de cette berline noire rouler vers eux comme si elles allaient les écraser et des cris de son jumeaux lorsque celui-ci fût emporté. J'ai cru que mon coeur allait se décrocher de ma poitrine quand j'ai vu ses deux grandes mains l'attraper et que j'étais totalement impuissante. Et Freddy, mon Dieu, si vous l'aviez vu courir après la voiture en appelant Julian de toutes ses forces, usant ses cordes vocales à les faire crisser. J'avais les larmes aux yeux. Ce jour-là une part de lui autant que mon âme tout entière s'est éteinte. Il demandait sans cesse Julian, cela m'a fait plonger dans une longue dépression. Je me sentais responsable. Freddy s'est beaucoup renfermé sur lui-même après cette histoire. Mon mari et moi-même avons tout fait pour essayer de retrouver notre fils et quelque part nos deux fils. Mais année après année l'affaire a fini par être classée faute de pistes. Mon mari s'est lui aussi beaucoup assombri avec le temps. Cela fait dix-neuf ans maintenant. Mais c'est toujours autant un sujet brûlant pour notre famille. Lorsqu'il a grandi Freddy a essayé de retrouver son frère par lui-même, c'était terrible. Il avait tellement d'espoir. Cependant le soir où il est rentré et qu'il a compris que c'était vain, j'ai commencé à retrouver mon fils. Rien que par le fait qu'il est venu se loger dans mes bras avec force. Cela faisait si longtemps que je n'avais pu entrer en contact, physiquement, avec Freddy. Je l'ai tellement aimé à cet instant-là. Il avait compris qu'il ne pouvait plus rien faire, si ce n'est essayer de vivre avec cet aléa de la vie. Tout comme moi. En dépit de la difficulté que cela représentait, il pouvait à présent faire son deuil. Je crois que la musique a longtemps été son refuge et l'enseigner à présent lui procure véritablement un sentiment de satisfaction. Mais je sais au fond de moi que mon fils ne sera jamais vraiment heureux. Personne ne pourra jamais effacer la perte de Julian. "


" Frederic, que fais-tu? Nous t'attendons pour le repas de famille... " Freddy le téléphone placé maladroitement entre son épaule et son oreille enfilait son jean en vitesse. " Pardon maman, je me suis pas réveillé. J'ai massacré mes partitions en m'endormant dessus en plus, tu verrais l'amas de bave qui s'y trouve, c'est dégueulasse... " s'expliqua le jeune homme à la vélocité exacerbée lorsqu'il était nerveux. Il regardait la pendule face à lui en paniquant toujours davantage. " Chéri, chéri, du calme... et dépêche toi. " son ton était froid, mais elle avait toujours été ainsi. Elle raccrocha et Freddy ne pouvait que se sentir déçu de lui-même, une énième fois. Il était vraiment pathétique comme garçon. Toujours en retard, toujours à côté de ses pompes, toujours à côté de tout. Il passa une main dans ses mèches brunes et claqua la porte de l'appartement 712 du quartier le plus effervescent de Londres.


" Bon il est où le petit Fred, on a faim nous. " ria oncle Joe en tapant du poing sur la table avec humour. Il sentait l'odeur du poulet au romarin imprégner l'espace et cela lui donnait terriblement envie d'entamer le plat. " Il est débordé par son travail, mais il ne devrait pas tarder... " défendit sa mère, en s'installant dignement en bout de table... " Quel gachi tout de même... faire le meilleur conservatoire de musique de Montréal pour finir par donner des cours à des débutants... " lança oncle Joe, désabusé, en disant tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Madame Richardson se crispa comme à chaque fois qu'on parlait ainsi de son fils. " Frederic fait bien ce qu'il veut de sa vie. " rétorqua-t-elle, impassible. Bien entendu elle aurait préféré que son fils suive la voie royale qu'elle avait tracé pour lui. Un éminent PDG, comme son père. Mais Freddy s'il était brillant se trouvait être bien trop rêveur. De plus sa fibre artistique prédominait chez lui.


" Hey Fred, ça va? T'es tout rouge? " questionna la voisine du jeune homme en le jaugeant avec amusement de ses yeux noirs. Elle portait une robe rouge qui mettait ses courbes en valeur. Fred en remarquant ce fait devint d'autant plus écrevisse. " Oh Naya... je... je... " il perdait littéralement contenance - comme à chaque fois que son regard tombait dans le sien - ne sachant où poser les yeux si ce n'est ailleurs que sur le corps de sa divine voisine, la latina éclata de rire. " Mon p'tit Fred, t'es trop mignon. " s'approchant de lui avec la douceur d'une danseuse, elle porta une main amicale sur la joue du jeune homme pour mieux embrasser son autre joue avec légèreté avant de descendre les marches de leur immeuble commun, laissant traîner derrière elle des parfums exotiques qui subjuguaient depuis bien trois ans notre petit Freddy. Un sourire de demeuré traînait sur ses lèvres. C'est fou ce qu'il était amoureux d'elle. Mais bon, il devait se ressaisir. Jamais ses sentiments ne seraient réciproques. En dépit de ses 25 ans bien tassés, elle le voyait comme un éternel enfant. Et cela ne changerait jamais. Résigné, il soupira et replaça correctement la anse de son sac en bandoulière sur son épaule peu solide. Il avait un repas familial auquel assister.

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